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jeudi 18 mars 2010

Si je vous en parle, je devrais vous tuer (2) : le plus long mensonge de l'histoire


On continue notre plongée en apnée vers les profondeurs de la réflexion latérale et du cogito interruptus avec une petite perle psychotronique venue d'Allemagne, j'ai nommé...

Le docteur Niemtiz et l'hypothèse du Temps Fantôme

Regardez votre calendrier : il se trompe. Cet article n'a pas été écrit en 2010, mais en 1713. La raison est simple : on vous a menti, le Moyen-Âge n'existe pas. On a simplement sauté 300 ans entre 614 et 911 après Jay-Cee. Et sans le bon docteur Hans-Ulrich Niemitz - qui a un nom idéal pour devenir un génie du mal, mais je m'égare - personne ne serait au courant.

Comment a-t-il mis à jour ce terrible secret ? En étudiant les réformes du calendrier. Je sais pas si vous savez, mais établir un calendrier qui tient debout, c'est du vrai travail. Le calendrier julien - comme Jules César, vous savez ? Un grand type, du fenouil sur la tête, a conquis les Gaules - prenait déjà en compte les années bissextiles, mais pas les années tropiques. Résultat, on tombait un jour trop court tous les cent ans.

Vous suivez toujours ? Parce que ça va s'emballer. En 1582, le pape Grégoire en a sa claque de fêter le dimanche de Pâques dix jours avant l'équinoxe et ordonne une réforme du calendrier. On passe à ce qu'on appelle le calendrier grégorien, qui est peu ou prou celui qu'on utilise aujourd'hui par défaut. Et c'est en se penchant sur cette réforme que Niemitz tilte : la dernière fois qu'on avait corrigé le calendrier julien pour le coller au cycle solaire date du concile de Nicée, en 325 après M.C. Christ. La réforme grégorienne est en 1582. Il y a donc 1264 années, qu'on va arrondir à 13 siècles. Donc 13 jours de retard, non ? Ben non, le calendrier grégorien ajoute juste 10 jours.

Niemitz se dit : dix jours, donc dix siècles entre les deux conciles. Et il mène son enquête. Je m'en voudrais de priver Dan Brown* d'un nouveau roman, je vais donc passer sous silence les aventures rocambolesques de notre héros scientifique dans sa quête de savoir que l'Église catholique cherche à maintenir dans l'ombre et sauter directement à la conclusion du bon docteur : on est allé direct de 614 à 911, sans passer par la case départ, sans toucher les mille piastres.

Pourquoi, par qui, comment ? C'est là que ça devient drôle. Voyez-vous, durant cette période règne sur le Saint-Empire romain germanique Otto III, un petit gars monté très jeune sur le trône et considéré comme un prodige par à peu près tout le monde. L'ennui, c'est que le poste est finalement assez routinier et le petit génie s'emmerde. Mais il a un bon pote aussi malin et geek que lui : Gerbert d'Aurillac, aussi connu sous le sobriquet de Pape Sylvestre II. Suspecté de sorcellerie, il aurait ramené un grimoire de sortilèges de l'un de ses voyages en Empire ottoman ; il avait aussi une tête mécanique qui parle et il était capable de calculer des racines carré de tête, ce qui n'est pas si facile. En gros, si ces deux-là étaient nés au XXe siècle, ils se seraient rencontrés au MIT et auraient joué à Donjons & Dragons ensemble.

Manque de bol, à l'époque il n'y avait ni PS3, ni logiciel libre, ni conventions de jeux de rôle, et les deux comparses s'emmerdent ferme. C'est dangereux de laisser des gens intelligents s'emmerder : ils attrapent des idées bizarres. Otto, par exemple, décide que ça serait super-cool d'être l'empereur du millénaire. Et Gerbert, toujours au taquet, lui répond que ouais, ça serait une super idée ! D'ailleurs j'ai écrit un super roman de gestes avec des héros qui tuent, des épées magiques et tout ! On pourrait s'en servir pour boucher les trous ! Et d'après Niemitz, ainsi fut fait.

Vous allez me dire : mais Otto III était effectivement l'empereur du millénaire! Il a régné de 996 à 1002 ! Je vous répondrai : pauvres naïfs. Ben non, tiens, si vous le croyez, c'est justement parce que la machination diabolique d'Otto et Gerbert a parfaitement fonctionné. Otto et Gerbert ont régné autour de 700 et des poussières.

Comment s'y sont-ils pris ? Simple. Otto avait encore de bons contacts avec l'Empire byzantin de par sa maman qui y passait souvent ses vacances. Or, l'empereur du coin, Constantin le VIIe du nom, était en train d'organiser une grosse réforme de ses archives impériales. Les anciens documents étaient écrits en grec maiuscula et l'usage de l'époque préfère le minuscula qui permet plus de subtilités typographiques : Constantin décide de tout faire réécrire par ses moines. Otto lui suggère : pourquoi ne pas changer les dates en passant et détruire les originaux ? Il y a de grandes choses à faire en inventant 300 ans d'histoire, genre : écrire des prophéties qui se réaliseront, créer des héros mythiques, tout ça... Constantin se laisse convaincre : il en profite pour créer de "vieux" documents justifiant l'existence de quelques reliques à l'origine douteuse, notamment.

Otto et Gerbert, eux, s'activent à inventer Charlemagne. Ça justifie leur empire, ça leur donne un rôle-modèle plus grand que nature et c'est une histoire qui déchire : Charlemagne, c'est Aragorn en mieux. Une épée magique, de joyeux compagnons, un fidèle lieutenant à la mort tragique, des trahisons, des batailles... Et tant qu'à faire, Otto s'en fait son ancêtre pour montrer à quel point lui aussi, il est grandiose.

Le trio profite du bordel complet des calendriers de l'époque pour maquiller l'affaire. Après tout, à peu près toutes les peuplades du coin ont leur propre calendrier à l'époque, et les deux empires eux-même en utilisent plusieurs. Quelques réformes plus tard, et hop : ça y est, on est en l'an 1000, maintenant tout le monde la ferme et fait comme si de rien n'était.

J'aime bien cette théorie parce qu'elle essaie un brin d'être crédible. Elle a ses défenseurs chez certains historiens (bien qu'on ne leur parle pas trop pendant les congrès d'Histoire), des articles ont été écrits sur le sujet dans les journaux spécialisés, ce genre de choses. Malheureusement, elle tient debout comme un ours polaire sur un monocycle et, au niveau divertissement, elle manque un peu d'envergure. Niemitz et ses partisans ont beau la défendre avec des arguments comme les datations approximatives, le marasme culturel du haut Moyen-Âge et autres joyeusetés, les historiens sérieux, eux, se demandent gentiment ce qu'ils ont fumé pour croire à ça.

Mais imaginer qu'on a écrit les chroniques carolingiennes comme certains professeurs de linguistique écrivent le Seigneur des Anneaux et que l'empereur de Byzance a maquillé ses reliques comme des voitures volées, avouez que ça vaut son pesant de pistaches grillées. Si vous voulez plonger, c'est ici que ça se passe.

*Dan, cette fois-ci, pense à mon chèque.

2 commentaires:

Alias a dit…

Dans un article de Surge, il y a quinze scénarios de jeu de rôle qui se cachent.

Ami lecteur, sauras-tu les retrouver?

Le Comte a dit…

Sinon, je le dis ici pour laisser une trace : si Dan Brown sort effectivement un roman sur l'hypothèse du temps fantôme, je veux des dollars.