
Avertissement : au cours de cette série, certaines libertés ont été prises avec la vérité historique telle qu'elle est généralement rapportée dans des documents sérieux. La version à retenir est, comme d'habitude, celle qui vous amuse le plus.
Kurt Gödel, le destructeur des mathématiques.
Ce gentleman naquit dans la noble ville de Brno, en Moravie. Je ne sais pas si vous savez, mais la République Tchèque a deux capitales, et Brno est la seconde : elle héberge, entre autres, le conseil constitutionnel et la cour suprême. Le centre des expositions de la ville a même accueilli un concert des Rolling Stones en 2008. C'est vous dire si, malgré son nom idiot, Brno est une ville qui en impose.
Mais revenons à Gödel et, pour comprendre pourquoi c'est un peu le James T. Kirk des mathématiques, vous allez devoir faire un détour par Bertrand Russell.

"En partant de cette proposition, il suit, maintenant que l'addition a été définie, que 1+1=2"
Vous ne rêvez pas, ils viennent de prendre trois cent soixante-dix-neuf pages pour arriver à la conclusion qu'un, plus un, égale deux. La preuve en est donnée une centaine de pages plus tard, dans le volume deux, accompagnée de cette note en bas de page :
"Cette proposition est parfois utile."
Comme disent les Britanniques : I shit you not.

"Dans n'importe quelle théorie récursivement axiomatisable, cohérente et capable de formaliser l'arithmétique, on peut construire un énoncé arithmétique qui ne peut être ni prouvé ni réfuté dans cette théorie."
Et là, c'est énorme. Vous connaissez le coup d'Epiménide, le Crétois qui prétend que tous les Crétois sont des menteurs ? Soit vous le croyez, et si c'est le cas vous n'avez aucune raison de lui faire confiance, soit vous pensez qu'il ment, et dans ce cas vous êtes bien obligés de le croire. Ça s'appelle une boucle étrange, et Gödel, à travers cet énoncé, non seulement en fait une proposition de logique formelle mais, en passant, s'en sert pour dynamiter l'oeuvre d'une vie dont le but est de rendre les mathématiques imperméables à ce genre de bug, qui sera nommé par la suite le second théorème d'incomplétude de Gödel, ce qui est un fort beau nom pour un groupe de rock. En effet, réussir à prouver ce théorème dans le cadre du système de Russell, c'est avouer que la longue démonstration qu'est le Principia est incomplète. Mais ne pas réussir à prouver ce théorème, c'est fatalement prouver les limites du système, et donc reconnaître qu'il est incomplet. Boum. Comme quoi, les mathématiques, contrairement à ce qu'on pourrait croire, est une activité pour les hommes, les vrais.
Et monsieur se permet d'autres tours de force, comme offrir à Enstein, pour ses 70 ans, une démonstration mathématique connue sous le nom de la métrique de Gödel qui le fera douter de sa propre théorie de la relativité. Vraiment, le genre de type qu'on a envie d'inviter chez soi.

Il finit par voir des maths partout, preuves de la grandeur du Tout-Puissant, et part tout doucement en sucette. Notamment, il finit par considérer les mathématiques comme un univers propre et physique, aussi réel que notre univers observable mais parfait, idéal, et surtout causal : ce qui se passe dans l'univers mathématique influence l'univers matériel, mais la réciproque n'est pas vraie. Il commence à considérer anges et démons comme des entités mathématiques qui y évoluent et influencent les mathématiques de notre monde et, puisque tout est mathématique, notre destinée. Oui, hein? Fatalement, l'idée que des ensembles d'équations conscientes manipulent en coulisse les rouages de notre monde alimente son délire de persécution naissant. Il finit par péter son dernier câble, écrit des équations sur les murs de sa chambre, devient définitivement paranoïaque, refuse de s'alimenter quand sa femme ne goûte pas sa nourriture et, lorsque celle-ci finit à l'hôpital à son tour, se laisse mourir de faim.
Moralité : les mathématiques TUENT!
*Bon, je parle pour moi, mais je suppose que je ne suis pas le seul à connaître Saint-Anselme. Si?
4 commentaires:
Ah M.Le Comte je ne vous avais pas encore lu ... les mathématiques m'ont tuée y'a longtemps depuis je vis très bien.
Petit addendum de Bond :
"Dans n'importe quelle théorie récursivement axiomatisable, cohérente et capable de formaliser l'arithmétique, on peut construire un énoncé arithmétique qui ne peut être ni prouvé ni réfuté dans cette théorie."
Vous n'avez rien compris ? Moi non plus.
C'est très simple, en fait.
Une théorie récursivement axiomatisable : une théorie qui part d'un minimum axiomes (= trucs qu'on tient pour vrai sans pouvoir les prouver, c.f. ceux d'Euclide) et qui en dérive des théorèmes (= trucs qu'on prouve à partir des interactions entre les axiomes, ou les théorèmes précédents).
Cohérente : qui ne se tire pas dans le pied.
Capable de formaliser l'arithmétique : capable d'expliquer tout, tout, tout, même pourquoi 1 n'est pas 0 ou pourquoi 1 et 1, ça fait deux, et même qu'est-ce qu'une addition, en respectant les règles de base du système.
Le reste est compréhensible je pense.
En gros : Gödel te mets au défi de prouver qu'un système formel est fatalement incomplet, c'est-à-dire ne peut pas tout démontrer sans sortir des axiomes de base et des théorèmes dérivés.
MAIS, et c'est là que c'est grandiose : il le formule comme un théorème à prouver, en restant dans les limites du système de logique formel qu'il attaque.
DONC soit tu prouves le théorème et paf, tu viens donc de prouver que ton système est incomplet (puisque c'est la conclusion du thèorème), soit tu échoues à le prouver et paf, tu montres par l'exemple que ton système est incomplet. Diabolique.
Et c'est un littéraire qui vous explique tout ça.
J'ai de plus en plus peur qu'un jour le Comte finisse comme l'un des gens dont il nous parle cette semaine.
Enregistrer un commentaire