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mercredi 17 février 2010

"J'ai Vu l'Éternité !" - Épisode 2 : Georg Cantor


On continue notre série sur les crâmage de cervelle par mathématiques interposées avec le type qui a inventé les ensembles sans limites. Applaudissez bien fort, c'est un type comme ça, je veux parler de...

Georg Cantor, explorateur de l'infini.

S'il vous faut d'autres preuves de la léthalité des mathématiques, laissez-moi vous présenter Georg Ferdinand Ludwig Cantor. Mathématicien allemand, né en Russie le 3 mars 1845 comme pourra vous apprendre Wikipedia*. Regardez-moi cette moustache. Ça, c'est de la moustache. Une moustache pareille doit avoir sa propre page Wikipedia.

Bref, Georg Cantor et sa moustache se sont très tôt passionnés pour l'infini en mathématiques et laissez-moi vous dire : ses travaux ont défini ce qu'était vraiment l'infini en mathématiques. Avant lui, on en parlait, on balançait le terme comme ça, un peu au hasard, et tout le monde faisait semblant de comprendre. Mais Cantor, lui, sait de quoi il parle.

L'ennui, c'est que dès qu'il en parle, la communauté des mathématiques le regarde bizarrement et non, ça n'a aucun rapport avec sa moustache. Ses découvertes sur la nature logique de l'infini sont particulièrement contre-intuitives. À quel point ? Il démontre que certains ensembles infinis sont plus gros que d'autres ensembles infinis, et j'ai chopé un des exemples que j'arrive à comprendre. Il se trouve même une nemesis, Leopold Kronecker, qui trouve que les maths c'est pour compter, et que pour compter, des ensembles finis c'est bien assez comme ça. Si les nombres entiers étaient assez bon pour Jésus Christ, ils sont assez bons pour Kronecker. Comme quoi, les puritains, on en trouve dans tous les domaines.

Cantor est donc frustré et se retranche dans son château pour déprimer tranquille, mais sa moustache lui suggère de trouver un moyen d'expliquer ça à ses copains. D'où la théorie des ensembles, un truc malin comme tout et aussi simple d'utilisation qu'une console Nintendo, au point que les écoliers à travers le monde entrent bien souvent dans les mathématiques par cette porte-là. Et ça marche : la théorie des ensembles, un petit gadget somme toute, est devenu une branche complète des mathématiques. Russel le cite à longueur de pages dans son Principia Mathematica. Cantor est à ce point épique.

Mais surtout, les théories de l'infini de Cantor profitent d'un truc qu'on pense avoir découvert avec Internet : le buzz. David Hilbert s'intéresse aux travaux de Cantor et, au lieu de vanter bêtement les mérites de la théorie, il s'en sert comme base pour un de ses 23 problèmes ouverts, une sorte de défi lancé au Congrès des Mathématiciens de Paris en 1900. Ces problèmes n'ont pas de solutions précises : ils s'agit de trucs qu'on pense probables ou crédibles en termes mathématiques mais qui flirtent avec les limites des théories de l'époque. Chercher à résoudre ces problèmes, c'est automatiquement repousser les susdites limites. Les matheux de l'époque se rendent vite compte que les théories farfelues, comme les infinis de Cantor, sont utiles et, dans certains contexte, sont en fait vachement intuitives. Et vu que tous les matheux présents s'y mettent, ils commencent tous à reconsidérer la théorie des ensembles infinis de Cantor comme quelque chose de pas mal, finalement. Merci Hilbert. Aujourd'hui, tu bosserais dans la pub ou la finance, ou bien tu tiendrais un blog.

Mais le drame arrive avec ceci :

"Pour tout ensemble infini a, tout ensemble infini b qui est subpotent à l'ensemble des parties de a et tel qu'il soit subpotent à b, est équipotent soit à a, soit à son ensemble des parties."

Celle-là, je crois que j'ai fini par la comprendre, mais si vous vous demandiez pourquoi j'ai disparu pendant une semaine, vous avez votre réponse. On l'appelle : l'hypothèse du continu. Ça signifie, entre autres, qu'il n'existe pas d'ensemble infini dont la taille, allons-nous dire, est entre celle de l'ensemble des nombres naturels et celle de l'ensemble des nombres réels. Bon, c'est peut-être un détail pour vous mais pour Cantor, ça veut dire beaucoup.

Le problème de Cantor, c'était d'arriver à démontrer l'hypothèse. Et il n'y est jamais arrivé. Ses recherches sur la nature des ensembles infinis lui font tourner la tête, son incapacité à prouver son hypothèse le mène à la dépression, il part en plein délire mystique sur la nature de l'infini et sa relation au divin. Lui aussi commence à délaisser les mathématiques pour la philosophie : il finit par associer les propriétés des ensembles infinis aux attributs divins, jusqu'à accepter que l'infini mathématique est, proprement, Dieu. Même ses hobbies partent en sucette : fervent lecteur et amateur de Shakespeare, il se lance, comme beaucoup d'autres à l'époque, dans la quête de la véritable identité du Barde. Il épluche consciencieusement la littérature élizabethaine et finit par considérer Francis Bacon comme l'auteur véritable derrière le pseudonyme. Ce qui, entre nous, tient autant debout qu'une girafe unijambiste, mais vu le peu de faits avérés qu'on a effectivement sur l'auteur, la porte reste ouverte à toutes les spéculations.

Là-dessus, son fils meurt. Cantor commence à déprimer sérieusement quand arrive le troisième congrès international des mathématiciens, durant lequel Julius König présente un article foutant en l'air la théorie des ensembles transfinis. Boum. Cette démonstration détruit complètement sa foi en Dieu et l'univers, et malgré les travaux d'Ernst Zermelo pointant les erreurs de König, Cantor finit sa vie détruit, abandonné par Dieu et meurt dans des circonstances étranges. Beaucoup pensent qu'il s'est suicidé, mais sa moustache n'avait aucun alibi valable, elle a disparu peu de temps après la mort de Cantor et on ne l'a jamais retrouvée. Aujourd'hui, ses ensembles sont dans tous les manuels de maths, ses idées sur l'infini sont évidentes pour le moindre intéressé et son rival, Kronecker, est considéré comme un gentil passéiste qui n'aura pas servi à grand chose. Dommage pour Cantor lui-même, parti vers un autre monde persuadé d'avoir été une merde. Mélanger les maths et Dieu est visiblement fatal.

*Wikipedia : quand vous êtes trop feignant pour faire de vraies recherches™

5 commentaires:

Le Comte a dit…

Et autant j'étais tout chaud pour donner des cours à domicile quant au théorème d'incomplétude de Gödel, autant ne comptez pas sur moi pour vous expliquer l'hypothèse du continu. Sorry, mais dès que j'y pense, tout deviens noir et je me réveille par terre après avoir perdu deux heures.

Bond a dit…

"Pour tout ensemble infini a, tout ensemble infini b qui est subpotent à l'ensemble des parties de a et tel qu'il soit subpotent à b, est équipotent soit à a, soit à son ensemble des parties."

En fait, plus j'y pense, plus je pense que le problème des matheux, c'est qu'ils sont de piètres écrivains.
Car contrairement à une rumeur fort répandue, je ne suis absolument pas réfractaire aux maths (même si je n'arrive à briller en société grâce à eux uniquement quand il est question de probabilités), par contre, dès que c'est un théoricien qui essaie de m'expliquer sa propre théorie (ou celle de l'un de ses collègues), j'ai presque des envies de lire Marc Levy.

Homéo a dit…

je m'étonnais du petit nombre de commentaires sur ce blog mais je commence à comprendre que cet ensemble est celui de ceux qui écrivent alors qu'ils n'ont rien compris, ensemble faisant partie d'un ensemble plus vaste de lecteurs ayant lu mais pas compris mais n'ayant pas le temps de l'écrire, ensemble lui-même d'un ensemble de non lecteurs(puisqu'ils savent qu'ils ne comprendront pas) ...

Le Comte a dit…

Le problème des mathématiciens, c'est qu'ils ne parlent pas français. Du tout. Ils parlent les mathématiques. Ensuite, ils traduisent en langage normal.

Les deux soucis : il y a beaucoup plus de concepts mathématiques que de mots normaux, et si en langage informel (genre : celui que j'emploie là, maintenant) le champ sémantique d'un mot (= la totalité des interprétations qu'on peut en faire) est malléable et c'est très bien comme ça, en mathématiques, quand on veut dire un truc, on veut dire EXACTEMENT un truc ET PAS UN AUTRE. Un mot se doit d'être monosémique au possible.

Vu de loin, ça a l'air d'être du français mais c'est pas lisible sans un vrai dictionnaire math > français. It's not a bug, it's a feature. Math = Serious Business™

Bond a dit…

Ce qui confirme ma pensée que les maths ce n'est pas quelque chose pour les humains.