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mardi 3 novembre 2009

Notes bibliographiques sur le dictionnaire Khazar


"Le savoir est une marchandise fragile, elle moisit rapidement. Tout comme l'avenir."

Ioannes Daubmannus, in le Dictionnaire khazar, p. 184



Composée à la fin du XVIIeme siècle en trois langues - arabe, grec et hébreu - par un éditeur polonais, Ioannes Daubmannus, la première édition du Dictionnaire khazar, ou Liber Cosri, est resté longtemps un livre maudit et introuvable pour une raison à la fois simple dans les faits et complexe dans sa nature. Un seul des cinq cents exemplaires imprimés, dit "édition à serrure d'or", avait été empoisonné : par un judicieux choix de mots au travers du texte, tout lecteur assez hardi pour lire ses articles dans l'ordre tombait terrassé par les mots vénéneux qui s'immisçaient dans son esprit ouvert par la lecture.

La seconde édition, elle, fut compilée sous la forme d'un roman lexical de 100.000 mots par Milorad Pavic à Belgrade entre 1978 et 1983. Retravaillée minutieusement d'après une myriade de sources, certaines imaginaires, l'ouvrage diffère en bien des points de son modèle. Notamment, aucun de ses exemplaires n'est, jusqu'à preuve du contraire, mortel pour son lecteur et il est intégralement écrit dans une seule langue, celle de Pavic. Il est néanmoins divisé en trois livres : le livre rouge compile les sources chrétiennes, le livre vert s'intéresse aux sources musulmanes et le livre jaune rassemble les sources juives.


"L'ardeur à regarder, à écouter et à lire est plus importante que l'ardeur à peindre, à chanter ou à écrire."

Sevast Nikon, in le Dictionnaire khazar, p. 76


L'objectif de l'ouvrage original, repris par la seconde édition, est de faire la lumière sur ce qui est encore aujourd'hui appelé "la polémique khazare" par les experts concernés. Le peuple khazar, qui vivait entre le VIIème et le Xème siècle en bordure de la mer Noire, a aujourd'hui disparu corps et biens dans les tempêtes de l'histoire et les traces qu'il a pu laisser sont diffuses et contradictoires, mais il nous reste cette annecdote : le kaghan, ou souverain khazar, avait un soir fait un rêve étrange dont il ne saisissait pas le sens. Déçu par les interprétations de ses chasseurs de rêve, il leur fit quitter la cour et convia à sa cour un représentant de chaque religion du Livre : un derviche musulman, un moine chrétien et un rabbin juif. Face au kaghan, ils rivalisèrent de sagesse et de talent dialectique pour offrir au souverain la meilleure des interprétations possibles de son rêve, avec à la clef du débat la promesse que le kaghan se convertirait lui et tout son peuple à la religion du vainqueur.

L'issue de ce débat, en l'absence de tout document clair et univoque, est encore indéterminée. C'est justement l'intérêt de l'ouvrage que d'explorer les tenants et les aboutissants de ce débat, laissant au lecteur le choix des sources qui sont pour lui les plus crédibles. De façon à aider le lecteur dans sa quête, le lexicographe compile également les textes et anecdotes relatifs à la culture khazare, permettant de saisir les subtilités de ce peuple étrange dont l'héritage est si peu conséquent que les Khazars, tels qu'ils sont présentés dans les pages du dictionnaire, en sont presque imaginaires.


"Le lexicographe propose un contrat au lecteur : le lexicographe écrira ses observations avant le dîner, et le lecteur les lira après le repas. Ainsi, la faim poussera le lexicographe à être bref et le lecteur, rassasié, lui, ne trouvera pas l'introduction trop longue."

Milorad Pavic in le Dictionnaire khazar, p. 13


Malgré sa réédition relativement récente en langue française par un éditeur grand public, le lecteur ne doit pas croire que l'ouvrage est aisé à acquérir. Les derniers exemplaires sont maintenant tous entre les mains de lecteurs avides, et aucune réimpression n'est prévue. De plus, une lubie du lexicographe l'a poussé à écrire deux versions différente, l'une dite "mâle" et l'autre "femelle". Les deux versions sont identiques aux yeux du profane, mais l'initié sait que quelques articles sont subtilement différents d'une version à l'autre, poursuivant hors de la couverture de l'ouvrage le jeu intertextuel auquel doit se livrer le lecteur courageux pour créer du sens hors des articles disparates qui composent le dictionnaire.

Le monde moderne offre heureusement quelques facilités au lecteur dans sa quête de sens. Premièrement, grâce à son usage régulier d'internet à travers des sites comme wikipedia, il sera habitué à un jeu mental qui déroute toujours ses parents, pour ne rien dire des commentateurs originels ; ensuite, le réseau global donnera au lecteur les outils pour rechercher l'ouvrage dans chacune de ses versions : eBay reste un point de départ utile.


Milorad Pavic, le Dictionnaire khazar, Pocket, Paris, 1993.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Ouaaaaaaaah. Un article sur mon livre favori! Mais comment se fait-ce??? (bon et sinon tu l'as fini? Parce que j'ai les quelques lignes de l'exemplaire masculin à partager si ça t'intéresse ;o) )

Anonyme a dit…

Pour info, voici le site de la traductrice en langue française du "Dictionnaire Khazar" : http://www.maria-bejanovska.com/