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lundi 21 décembre 2009

Bond vous parle (un peu) de son voyage d'affaires en pays étranger.


Comme vous le savez, j’ai dû récemment m’absenter pour voyage d’affaire en pays étranger. Vous comprendrez que je ne peux divulguer ici tous les détails de ce voyage, et surtout pas ce que je suis allé faire au quartier général de l’OTAN.

Saviez-vous que dans la partie réservée au public et à la presse, il y a des panneaux "No classified discussion in this area" ? Mais comme je ne suis pas allé seulement dans ces pièces-là, je ne m’étendrais pas beaucoup plus sur le sujet…

Vous y tenez ?

Bon, ce que je peux vous dire c'est que j’ai eu à faire à un Américain (mais travaillant pour l’OTAN, pas pour les US, il insista bien sur ce point) que nous appellerons James et qui était très enthousiaste et faussement franc, genre le mec qui fait semblant d'être totalement ouvert sur ce qu'il se passe en ces lieux, mais qui finalement ne dit rien de vraiment confidentiel ni de très intéressant. Il fanfaronnait même avec un "Je vais vous donner un scoop sur l’annonce prochaine d’Obama sur l’Afghanistan" puis tenta de passer immédiatement à autre chose, et il a fallu que je lui tire presque littéralement les vers du nez pour l'obtenir (et au moment où vous lirez ces lignes, vous aurez une idée assez claire de la teneur de ce scoop). Mais son speech était tellement formaté et il le récitait si bien, que je le suspecte presque d'être un robot. Peut-être est-il l'androïde protocolaire qu’on envoie aux nouveaux arrivants pour les mettre en confiance et montrer que l’OTAN c’est une bande de chouettes copains ?


Puis je me suis entretenu avec l’Homme à la Cigarette qui lui a été beaucoup plus ouvert sur le sujet qui nous intéressait, en beaucoup moins souriant (mais sympa quand même : il a même donné un pin’s à un de mes compagnons de réunion, ne cherchez pas à comprendre).

On notera avec amusement qu’il appelle les civils des "civils" alors qu’il dit en faire lui-même partie. Qui donc appelle le commun des mortels des civils sinon les gens qui n'en sont pas, des civils ?

Enfin bon, pardonnons-lui, chacun à ses petits secrets et ses petites manies, surtout qu’il semblerait qu’il ait arrêté de fumer, ce qui est un signe positif, avouons-le ; ou alors c'est juste qu'il n'a plus le droit de fumer dans les locaux de l'OTAN comme il pouvait se le permettre dans le passé.

Plus tard et ailleurs, je fis la connaissance d’un Américain que nous nommerons Joe et de son jeune sidekick hongrois, que nous appellerons Csaba (prononcez Shabo ou un truc comme ça, vous savez moi, le hongrois), quoique je pourrais tout aussi bien les nommer Plug & Play, puisque c’était ce qui était affiché sur le chevalet de bureau devant eux, là où l’on trouve habituellement le nom de son interlocuteur associé à celui de son pays lors des grandes rencontres internationales. Dans le cas qui nous préoccupe ici, il ne s’agissait que d’une petite rencontre internationale -seulement quatre nationalités étaient représentées- donc les petits drapeaux sur le bureau étaient parfaitement inutiles.

Plug & Play se posèrent directement comme des mecs super cools, détendus, relax, sans cravate, dynamiques. Bref ils tenaient à nous faire comprendre dès les premières secondes qu’ils ne sont pas comme tous ces businessmen, bureaucrates et politiciens grouillants dans cette partie-là de la capitale belge.

Pourtant ils ne travaillaient pas pour un petit commerçant local, mais pour la plus grosse corporation mondiale de production et de distribution d’alcool. Je ne citerai pas le nom, tout d’abord et paradoxalement il ne vous dira très probablement rien, et puis surtout, ici chez Surge, on a pas envie de se prendre déjà un procès, deux mois après avoir démarré.

Sachez toutefois que cette société est propriétaire d’un certain nombre de marques que vous connaissez forcément. Je pourrais citer des marques très célèbres de rhum, de vodka, de tequila, de crème de whisky, de bière irlandaise la plus célèbre au monde. Nommez les premières marques qui vous viennent à l’esprit pour chacun de ces alcools, vous aurez très probablement cité la marque qui appartient à cette corporation.




Ma première réaction fut : "Cool, des vendeurs d’alcool, et moi qui craignait avoir à faire de sinistres financiers ou autres bureaucrates."

Ma deuxième réaction fut plutôt : "Ah ouais quand même… C'est pas vraiment des moines trappistes ni des tauliers grolandais alcooliques."

Et ça n’allait aller que de mal en pis à partir de ce moment-là. Car en fait, il s’agissait de lobbyistes.

Si vous êtes un Européen comme vous et moi, le lobbying c’est un truc un peu abstrait qui se passe aux États-Unis, on sait pas trop ce qu’ils sont , ni trop ce qu’ils font… Personnellement, avant cette rencontre, le lobbying c’était pour moi de grosses associations à but non-lucratif qui essaient de faire valoir leurs points de vue ici ou là, si possible du côté de la Maison Blanche, et ça allait du meilleur au pire.

Le lobbying auquel je ne pensais pas forcément c’était le lobbying pour des intérêts privés, et surtout je ne pensais pas qu’il existait à Bruxelles, en tout cas, pas qu’il avait pignon sur rue, au point que j’ai maintenant la drôle d’impression que cette ville en est infestée (le lendemain, je rencontrai aussi un représentant de Coca-Cola, et un autre, genre mercenaire, qui bossait pour une association représentant un paquet de corporations différentes).

Revenons à Plug & Play qui m’expliquèrent rapidement en quoi leur travail consistait, même si vous l’aurez déjà deviné. Il s’agit bel et bien de faire ami-ami avec certains parlementaires pour ensuite les influencer à voter voire pire, proposer des lois en faveur de la société en question…

Oui, oui, vous avez bien lu, et si vous en doutiez encore, je peux vous confirmer que cette activité est très vivace aux alentours du Parlement.

Vous croyez que la démocratie c’était le gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple ?

Grands naïfs que vous êtes, il s’agit bien sûr du gouvernement du peuple par les lobbies et pour les corporations.

La différence avec de la corruption pure et simple ? C’est que les parlementaires ne reçoivent même pas d’argent (sale ou propre… quoique pour l’argent sale, je n’en jurerai pas) pour écrire et modifier ainsi les lois en vue de favoriser la corporation de leur lobbyiste favori.

Et bien sûr, pendant qu’ils m’expliquaient tout ça le plus naturellement du monde, ils continuaient à être super décontractés, cools, sympas, motivés, et plus généralement avoir un attitude qui convaincrait n’importe quel jeune de vingt ans un poil crédule qui se dirait que décidemment ils font le métier le plus cool du monde.

Il y avait quelques jeunes de vingt ans parmi nous…

De plus, aucun cliché ne nous fût épargné, Plug a même osé le « I keep it real » ! Il a aussi bien souligné que parfois les gens lui demandaient s’il n’avait pas de problème à se regarder dans la glace. Il répondit avec assurance par la négative en soulignant bien qu’il promouvait aussi des lois pour mieux réguler la consommation de l’alcool chez les jeunes et ce genre de trucs, donc non, il n'avait aucun problème éthique avec son activité.

Ça devait être son côté puritain qui parlait à ce moment-là (il a avoué, sans raison particulière et très fier de lui, être membre du Parti Républicain) parce que c’est pas à cause de la dimension alcoolique de son métier que je me demande comment il peut se regarder dans une glace et que je fus très tenté de sortir mon Glock 19 compact (celui chambré en 9mm Parabellum, ça me semblait de circonstance). Mais sortir ainsi une arme en public pour s'occuper de son hôte, c'est vulgaire et impoli.

Et si vous pensez encore que les lobbyistes ne sont pas si nuisibles que ça, demandez-vous pourquoi le sommet de Copenhague fut un tel fiasco. Si vous répondez à cause de la Chine et des Etats-Unis, vous n'aurez qu'en partie raison.

Monsanto and Exxon were there!

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