J'ai enfin lu la Brigade Chimérique, du moins les trois volumes déjà disponibles. Depuis le temps que j'en entends parler il fallait bien que je me penche dessus, et bien entendu que je vous fasse part de ce que j'y ai trouvé. Il semblerait que la critique soit unanime à son sujet, et il est vrai que nous avons là une bande dessinée d'un niveau bien supérieur à une bonne partie de la production actuelle. Pourtant, je n'arrive pas à être aussi enthousiaste que la plupart des gens qui en parlent ici ou là.
Et Super Dupont, c'est du pipeau ?
Ça commence à coincer pratiquement dès le postulat de base: « Pourquoi n'y a-t-il plus de super héros en Europe après la Seconde Guerre Mondiale ? » Question intéressante s'il en est mais -selon moi- pour des raisons extra textuelles d'ordre plutôt socioculturel ou éditorial, pas vraiment narratives.
On pourrait par exemple citer la perte définitive d'innocence de l'inconscient collectif européen au sortir de la guerre. Perte coïncidant avec une renaissance de l'innocence américaine, les États-Unis étant non seulement les grands vainqueurs de cette guerre, mais aussi le pays dont le gros de la population ne fera pas l'expérience de ses aspects les plus traumatisants, contrairement aux ressortissants des autres protagonistes.
D'un point de vue éditorial on pourrait se risquer penser que les super héros ont tout bêtement raté le coche en France, car le moment où ils commencent à passer du roman à la bande dessinée outre-Atlantique coïncide avec celui où la bande dessinée que l'on appelle aujourd’hui « franco-belge » prend son essor et monopolise la production francophone. Il ne s’agit ici que de présuppositions de ma part -vous aurez noté l'usage du conditionnel- et je pourrais m'essayer à d'autres hypothèses, je resterais toujours dans la conjecture.
Voila pourquoi que je trouve l'idée de faire de cette question le point de départ d’une fiction mettant justement en scène des super héros européens à la veille de la deuxième guerre mondiale presque saugrenue, et en tout cas éminemment casse-gueule.
- Qui c'est le plus fort, Superman ou le Nyctalope ?
- C'est qui celui-là ?
Mais bon, peut-être que ça marchera. Après tout, seule la première moitié de l'œuvre a été publiée à l'heure où je tape ces lignes, qui sait ce que la suite nous réserve ? Toutefois, j'ai quand même très peur que les scénaristes ne doivent recourir à un deus ex machina des plus malvenus pour retomber sur leurs pattes à l'approche du dénouement ; nous verrons ce qu'il en est en temps venu, peut-être que je ne leur fais pas assez confiance et qu’ils s’en sortiront très bien.
En fait, ce n'est pas tant ça qui me gêne dans cette œuvre que l'approche choisie. Rassembler tout un tas de personnages de fiction français de la première moitié du 20e siècle, pourquoi pas après tout ?
Bien sûr, on pensera de suite à League of Extraordinary Gentlemen, mais cela semble presque être une coïncidence tant les deux œuvres sont différentes l'une de l'autre ; quoique, je n'ai lu que le premier volume de la bande dessinée d'Alan Moore, je me garderai donc bien de faire une quelconque comparaison (en fait, je dois vous avouer qu'une des premières choses que j'ai faites après avoir écrit ces lignes fut de courir acheter le deuxième volume).
Ce qui me semble le plus étrange, c’est plutôt de mettre au premier rang des personnages dont pratiquement personne n’a entendu parler de nos jours (le Nyctalope) et de reléguer ceux qui sont connus du grand public au rang de vulgaires guest stars (Gregor Samsa, le Passe-Muraille).
Je comprends qu'un scénariste se sente plus libre avec un personnage peu connu entre les mains, qu’il ait justement peur de la comparaison avec Alan Moore, mais ça rend aussi de suite l'expérience bien moins attrayante pour le lecteur pour qui cela n’aura aucune importance que le personnage en question soit une invention du scénariste ou un personnage trouvé dans un livre oublié de tous au fond d'un grenier.
Cela va même jusqu’à provoquer un certain malaise (le mot est fort, je le concède) chez moi. J'aime l'érudition et la référenciation dans elles se fondent dans le décor. Elles n'auront pas forcément besoin d'être invisibles, mais elles ne doivent surtout pas paraître comme des éléments rajoutés au corps de l'œuvre.
Là, et à plusieurs reprises, j’ai la sensation que les auteurs ont fait beaucoup de recherches pour écrire leur œuvre -et ça, c’est tout à leur honneur- mais ils ne peuvent maintenant s'empêcher de nous le faire savoir à grands coups de coudes dans les côtes et en mettant de grosses pancartes lumineuses nous les montrant bien ces recherches et ça, ça l'est beaucoup moins, à leur honneur.
J'ai une sensation très similaire quand soudain, André Breton surgit de nulle part dans notre histoire, comme pour nous rappeler -distraits que nous sommes- que le fantastique français de l'entre-deux guerres a des liens avec le mouvement surréaliste. N'y avait-il pas des manières plus subtiles d'y faire allusion ?
Même chose pour Freud et Jung nommés à plusieurs reprises quand leurs théories sont reprises. Était-ce bien nécessaire ? Ceux qui connaissent ces théories auront reconnu d'eux-mêmes, les autres s'en contreficheront et dans tous les cas, cela laissera un goût amer de name-dropping un poil pédant.
Alors je sais, l'on me rétorquera "effets de réels et tout ça."
Parlons-en des effets de réel.
Comme dans toute histoire de super héros, comme dans tout récit fantastique, pour que la sauce prenne, pour que le récit fonctionne, il faut qu'il ait un point de départ réaliste -sinon nous sommes dans un autre genre. Et il faut donc des effets de réel et que ce monde -à l'exception des éléments fantastiques bien évidemment- soit le plus vraisemblable possible. C'est ce que font nos auteurs la plupart du temps. Oui, la description des évènements survenus lors de la première guerre mondiale fonctionne. Oui, la plupart des personnages réels s'intègrent bien à l'histoire, en particulier le couple Joliot-Curie.
Mais alors pourquoi avoir transformé des pans entiers de l'Europe ? Et principalement, pourquoi avoir remplacé Adolf Hitler par le Docteur Mabuse ?
Non seulement le raccourci est trop facile : Mabuse est le « grand méchant de l'histoire », donc faisons lui remplacer le « Grand Méchant de l'Histoire ». J’espère au passage que nos auteurs ne se sont pas laissé aller à cette maladresse par peur de devoir mettre en scène le dictateur nazi.
Cela semblerait n’être qu’un détail –un gros détail- mais en fait tout cela déséquilibre totalement le monde décrit jusqu'alors, puisque nous avons soudain une uchronie face à nous et non plus le monde réel dans lequel graviterait un certain nombre de surhommes.
Il y a quelques chose de pourri au royaume de Métropolis
Le propos initial en pâtit grandement. Comment cette bande dessinée va pouvoir nous expliquer pourquoi il n’y a plus de super héros en Europe quand l’Europe mise en scène n’a qu’une vague ressemblance avec la nôtre ?
Et je ne parle même pas des scènes risibles qui se voudraient dramatiques ou pleines de suspense, comme quand George Spad découvre la marque de Mabuse sur le chapeau de Cagliostro venant d'attaquer Paris et qu'elle s'interroge « qu'est-ce que ça veut dire ? » Sauf que cette marque, c'est la croix gammée. Non seulement ça ne fonctionne pas pour le lecteur, mais cela ne fonctionne pas non plus dans le monde de 1939, n'importe qui aurait de suite compris ce qu'une telle marque sur le vêtement d'un individu attaquant Paris « veut dire. »
Peut-être ne suis-je qu'un intégriste de la réalité, mais pour que la dimension fantastique d’une fiction fonctionne, il faut à mes yeux que la partie « réelle » soit irréprochable.
Puisqu'on parle de uchronie nazi, je pourrais faire le parallèle avec Inglourious Basterds où là, ça fonctionne, justement parce que l'on ne se rend compte que petit à petit que l'univers présenté n’est pas historique. Avant de vraiment basculer, il y a eu un univers planté, un univers ressemblant comme deux gouttes d'eau au nôtre, ce qui nous permet d'y rentrer dedans, bien que Tarantino ne prétende pas une seule fois nous montrer une œuvre soi-disant historique, d’ailleurs le film est bourré d’indices prouvant le contraire dès le tout début. Et pourtant, dans Inglourious Basterds, les Nazis sont juste des « méchants » et leur coller l’étiquette « nazi », ça permet de les scalper ou de les brûler vifs dans une salle de cinéma sans qu’il n’y ait de malaise pour le spectateur… Dans la Brigade, j'ai l'impression que le but –et l'effet- sont inverses. Si le Docteur Mabuse se retrouve affublé d'une croix gammée, c’est justement pour créer un malaise –nous sommes à la veille de la guerre. Mais de malaise, il n'y a que peu ou pas, justement parce que malgré tout, il ne reste qu'un personnage imaginaire que l'on soupçonne être très méchant (après tout, il a une croix gammée) mais rien d'autre ne permet de corroborer ce soupçon jusqu'à présent.
Maintenant la série n'est pas terminée, peut-être que ces faiblesses que je critique n'en sont finalement pas et que ce rapport douteux entre réalité et fiction s'expliquera. Peut-être même cela se fera à travers le personnage de George Spad autour duquel la distinction entre les deux est des plus brouillées. Personne réelle ? Personnage de fiction ? Une recherche sur Google vous donnera un certain nombre de résultats, mais à y regarder de plus près, tous ces résultats sont liés de près ou de loin à la Brigade Chimérique, ou à une mystérieuse Société des Amis de George Spad dont les plus vieilles interventions remontent à… octobre 2009 ! Et quand je questionne mes contacts académiques ou utilise des moteurs de recherche plus spécialisés, je fais systématiquement chou blanc. En cherchant plus en avant, je trouve une Renée Dunan plus ou moins oubliée et qui pourrait être « l’original » de George Spad, mais je n’en suis même pas totalement sûr. Bref les auteurs nous jouent un joli tour avec ce personnage (et j’ai l’impression que nombreux sont ceux qui sont tombés dans le panneau). J’espère que si deus ex machina il y a, il viendra de Spad, le parfait pont entre les deux mondes.
Radium Institute Assemble!
Finalement, malgré l'aspect fourre-tout que l'œuvre a par moments, je salue sa richesse (et j'avoue qu'étant loin d'être un spécialiste de la littérature fantastique de l'époque, pas mal de références doivent m'échapper). Nous avons ici une bande dessinée qui se situe au dessus du lot de la production actuelle, et qui -malgré ces quelques travers- ne se laisse pas aller à la paresse intellectuelle. Et puis surtout, même si je chipote sur ces histoires de rapport à la réalité qui ne gênent que moi (déformation professionnelle ?) l'intrigue est passionnante et très bien menée. On veut savoir ce qu'il va se passer. Les personnages principaux -même s'ils ne sont pas tous attachants- sont très bien caractérisés et sont de très bons moteurs à cette intrigue. Et une fois passé les bémols explicités précédemment, on arrive vraiment à se plonger de plus en plus dans cette histoire, chaque volume étant pour l'instant meilleur et plus prenant que le précédent. Espérons que la suite continuera à aller dans cette direction. Dans ce cas, on pourra dire que l'on aura à faire à une belle réussite, si tant est que la réponse à la question de départ soit satisfaisante.
(crédits dessins: La Brigade Chimérique, L'Atalante 2009)
Et Super Dupont, c'est du pipeau ?
Ça commence à coincer pratiquement dès le postulat de base: « Pourquoi n'y a-t-il plus de super héros en Europe après la Seconde Guerre Mondiale ? » Question intéressante s'il en est mais -selon moi- pour des raisons extra textuelles d'ordre plutôt socioculturel ou éditorial, pas vraiment narratives.
On pourrait par exemple citer la perte définitive d'innocence de l'inconscient collectif européen au sortir de la guerre. Perte coïncidant avec une renaissance de l'innocence américaine, les États-Unis étant non seulement les grands vainqueurs de cette guerre, mais aussi le pays dont le gros de la population ne fera pas l'expérience de ses aspects les plus traumatisants, contrairement aux ressortissants des autres protagonistes.
D'un point de vue éditorial on pourrait se risquer penser que les super héros ont tout bêtement raté le coche en France, car le moment où ils commencent à passer du roman à la bande dessinée outre-Atlantique coïncide avec celui où la bande dessinée que l'on appelle aujourd’hui « franco-belge » prend son essor et monopolise la production francophone. Il ne s’agit ici que de présuppositions de ma part -vous aurez noté l'usage du conditionnel- et je pourrais m'essayer à d'autres hypothèses, je resterais toujours dans la conjecture.
Voila pourquoi que je trouve l'idée de faire de cette question le point de départ d’une fiction mettant justement en scène des super héros européens à la veille de la deuxième guerre mondiale presque saugrenue, et en tout cas éminemment casse-gueule.
- Qui c'est le plus fort, Superman ou le Nyctalope ?
- C'est qui celui-là ?
Mais bon, peut-être que ça marchera. Après tout, seule la première moitié de l'œuvre a été publiée à l'heure où je tape ces lignes, qui sait ce que la suite nous réserve ? Toutefois, j'ai quand même très peur que les scénaristes ne doivent recourir à un deus ex machina des plus malvenus pour retomber sur leurs pattes à l'approche du dénouement ; nous verrons ce qu'il en est en temps venu, peut-être que je ne leur fais pas assez confiance et qu’ils s’en sortiront très bien.
En fait, ce n'est pas tant ça qui me gêne dans cette œuvre que l'approche choisie. Rassembler tout un tas de personnages de fiction français de la première moitié du 20e siècle, pourquoi pas après tout ?
Bien sûr, on pensera de suite à League of Extraordinary Gentlemen, mais cela semble presque être une coïncidence tant les deux œuvres sont différentes l'une de l'autre ; quoique, je n'ai lu que le premier volume de la bande dessinée d'Alan Moore, je me garderai donc bien de faire une quelconque comparaison (en fait, je dois vous avouer qu'une des premières choses que j'ai faites après avoir écrit ces lignes fut de courir acheter le deuxième volume).
Ce qui me semble le plus étrange, c’est plutôt de mettre au premier rang des personnages dont pratiquement personne n’a entendu parler de nos jours (le Nyctalope) et de reléguer ceux qui sont connus du grand public au rang de vulgaires guest stars (Gregor Samsa, le Passe-Muraille).
Je comprends qu'un scénariste se sente plus libre avec un personnage peu connu entre les mains, qu’il ait justement peur de la comparaison avec Alan Moore, mais ça rend aussi de suite l'expérience bien moins attrayante pour le lecteur pour qui cela n’aura aucune importance que le personnage en question soit une invention du scénariste ou un personnage trouvé dans un livre oublié de tous au fond d'un grenier.
Cela va même jusqu’à provoquer un certain malaise (le mot est fort, je le concède) chez moi. J'aime l'érudition et la référenciation dans elles se fondent dans le décor. Elles n'auront pas forcément besoin d'être invisibles, mais elles ne doivent surtout pas paraître comme des éléments rajoutés au corps de l'œuvre.
Là, et à plusieurs reprises, j’ai la sensation que les auteurs ont fait beaucoup de recherches pour écrire leur œuvre -et ça, c’est tout à leur honneur- mais ils ne peuvent maintenant s'empêcher de nous le faire savoir à grands coups de coudes dans les côtes et en mettant de grosses pancartes lumineuses nous les montrant bien ces recherches et ça, ça l'est beaucoup moins, à leur honneur.
J'ai une sensation très similaire quand soudain, André Breton surgit de nulle part dans notre histoire, comme pour nous rappeler -distraits que nous sommes- que le fantastique français de l'entre-deux guerres a des liens avec le mouvement surréaliste. N'y avait-il pas des manières plus subtiles d'y faire allusion ?
Même chose pour Freud et Jung nommés à plusieurs reprises quand leurs théories sont reprises. Était-ce bien nécessaire ? Ceux qui connaissent ces théories auront reconnu d'eux-mêmes, les autres s'en contreficheront et dans tous les cas, cela laissera un goût amer de name-dropping un poil pédant.
Alors je sais, l'on me rétorquera "effets de réels et tout ça."
Parlons-en des effets de réel.
Comme dans toute histoire de super héros, comme dans tout récit fantastique, pour que la sauce prenne, pour que le récit fonctionne, il faut qu'il ait un point de départ réaliste -sinon nous sommes dans un autre genre. Et il faut donc des effets de réel et que ce monde -à l'exception des éléments fantastiques bien évidemment- soit le plus vraisemblable possible. C'est ce que font nos auteurs la plupart du temps. Oui, la description des évènements survenus lors de la première guerre mondiale fonctionne. Oui, la plupart des personnages réels s'intègrent bien à l'histoire, en particulier le couple Joliot-Curie.
Mais alors pourquoi avoir transformé des pans entiers de l'Europe ? Et principalement, pourquoi avoir remplacé Adolf Hitler par le Docteur Mabuse ?
Non seulement le raccourci est trop facile : Mabuse est le « grand méchant de l'histoire », donc faisons lui remplacer le « Grand Méchant de l'Histoire ». J’espère au passage que nos auteurs ne se sont pas laissé aller à cette maladresse par peur de devoir mettre en scène le dictateur nazi.
Cela semblerait n’être qu’un détail –un gros détail- mais en fait tout cela déséquilibre totalement le monde décrit jusqu'alors, puisque nous avons soudain une uchronie face à nous et non plus le monde réel dans lequel graviterait un certain nombre de surhommes.
Il y a quelques chose de pourri au royaume de Métropolis
Le propos initial en pâtit grandement. Comment cette bande dessinée va pouvoir nous expliquer pourquoi il n’y a plus de super héros en Europe quand l’Europe mise en scène n’a qu’une vague ressemblance avec la nôtre ?
Et je ne parle même pas des scènes risibles qui se voudraient dramatiques ou pleines de suspense, comme quand George Spad découvre la marque de Mabuse sur le chapeau de Cagliostro venant d'attaquer Paris et qu'elle s'interroge « qu'est-ce que ça veut dire ? » Sauf que cette marque, c'est la croix gammée. Non seulement ça ne fonctionne pas pour le lecteur, mais cela ne fonctionne pas non plus dans le monde de 1939, n'importe qui aurait de suite compris ce qu'une telle marque sur le vêtement d'un individu attaquant Paris « veut dire. »
Peut-être ne suis-je qu'un intégriste de la réalité, mais pour que la dimension fantastique d’une fiction fonctionne, il faut à mes yeux que la partie « réelle » soit irréprochable.
Puisqu'on parle de uchronie nazi, je pourrais faire le parallèle avec Inglourious Basterds où là, ça fonctionne, justement parce que l'on ne se rend compte que petit à petit que l'univers présenté n’est pas historique. Avant de vraiment basculer, il y a eu un univers planté, un univers ressemblant comme deux gouttes d'eau au nôtre, ce qui nous permet d'y rentrer dedans, bien que Tarantino ne prétende pas une seule fois nous montrer une œuvre soi-disant historique, d’ailleurs le film est bourré d’indices prouvant le contraire dès le tout début. Et pourtant, dans Inglourious Basterds, les Nazis sont juste des « méchants » et leur coller l’étiquette « nazi », ça permet de les scalper ou de les brûler vifs dans une salle de cinéma sans qu’il n’y ait de malaise pour le spectateur… Dans la Brigade, j'ai l'impression que le but –et l'effet- sont inverses. Si le Docteur Mabuse se retrouve affublé d'une croix gammée, c’est justement pour créer un malaise –nous sommes à la veille de la guerre. Mais de malaise, il n'y a que peu ou pas, justement parce que malgré tout, il ne reste qu'un personnage imaginaire que l'on soupçonne être très méchant (après tout, il a une croix gammée) mais rien d'autre ne permet de corroborer ce soupçon jusqu'à présent.
Maintenant la série n'est pas terminée, peut-être que ces faiblesses que je critique n'en sont finalement pas et que ce rapport douteux entre réalité et fiction s'expliquera. Peut-être même cela se fera à travers le personnage de George Spad autour duquel la distinction entre les deux est des plus brouillées. Personne réelle ? Personnage de fiction ? Une recherche sur Google vous donnera un certain nombre de résultats, mais à y regarder de plus près, tous ces résultats sont liés de près ou de loin à la Brigade Chimérique, ou à une mystérieuse Société des Amis de George Spad dont les plus vieilles interventions remontent à… octobre 2009 ! Et quand je questionne mes contacts académiques ou utilise des moteurs de recherche plus spécialisés, je fais systématiquement chou blanc. En cherchant plus en avant, je trouve une Renée Dunan plus ou moins oubliée et qui pourrait être « l’original » de George Spad, mais je n’en suis même pas totalement sûr. Bref les auteurs nous jouent un joli tour avec ce personnage (et j’ai l’impression que nombreux sont ceux qui sont tombés dans le panneau). J’espère que si deus ex machina il y a, il viendra de Spad, le parfait pont entre les deux mondes.
Radium Institute Assemble!
Finalement, malgré l'aspect fourre-tout que l'œuvre a par moments, je salue sa richesse (et j'avoue qu'étant loin d'être un spécialiste de la littérature fantastique de l'époque, pas mal de références doivent m'échapper). Nous avons ici une bande dessinée qui se situe au dessus du lot de la production actuelle, et qui -malgré ces quelques travers- ne se laisse pas aller à la paresse intellectuelle. Et puis surtout, même si je chipote sur ces histoires de rapport à la réalité qui ne gênent que moi (déformation professionnelle ?) l'intrigue est passionnante et très bien menée. On veut savoir ce qu'il va se passer. Les personnages principaux -même s'ils ne sont pas tous attachants- sont très bien caractérisés et sont de très bons moteurs à cette intrigue. Et une fois passé les bémols explicités précédemment, on arrive vraiment à se plonger de plus en plus dans cette histoire, chaque volume étant pour l'instant meilleur et plus prenant que le précédent. Espérons que la suite continuera à aller dans cette direction. Dans ce cas, on pourra dire que l'on aura à faire à une belle réussite, si tant est que la réponse à la question de départ soit satisfaisante.
(crédits dessins: La Brigade Chimérique, L'Atalante 2009)
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