accueille à bras ouverts nos seigneurs reptiliens.

dimanche 6 décembre 2009

Encore plus sur les gens synthétiques

On a chacun notre vision du monde, qui nous aide à comprendre ce qui se passe autour de nous et à prévoir les avenirs possibles. Ça vient généralement tout seul, par enculturation. Personnellement, j'ai décidé que selon mon paradigme personnel, l'intelligence artificielle est une fatalité, et que c'est une bonne chose. Ça rend ma vie particulièrement amusante à vivre. Bizarrement, peu de gens me suivent là-dessus.

Étant donné que vous, vous n'êtes pas de dangereux tordus qui décidez arbitrairement à quoi vous allez croire cette semaine, mais que votre vision du monde dépend de faits et d'expériences, permettez-moi de vous soumettre quelques anecdotes qui vont peut-être vous aider à comprendre pourquoi j'en suis arrivé là. N'espérez pas aujourd'hui un raisonnement construit, je n'ai pas la tête à ça. Dites-vous simplement que je vois beaucoup de poésie quand je superpose ces trois images.

Les androïdes rêvent-ils d'écrivains électriques?

Né en 1928, mort en 1982, Philip Kindred Dick a été l'un des écrivains les plus remarquables du petit monde de la SF et de la contre-culture américaine dans les années 60. Il a eu son petit moment de gloire en France et les honneurs d'une biographie par Emmanuel Carrère que votre serviteur trouve très mauvaise (préférez-lui Les Invasions Divines de Laurence Sutin, chez Folio SF). Il est, entre autres, l'auteur de Blade Runner dont le titre original, Les Androïdes Rêvent-ils de Moutons électriques, est tombé dans l'oubli à la sortie de l'adaptation cinématographique.

Il se trouve qu'un joint-venture de plusieurs laboratoires de robotique et de facultés universitaires a décidé, avec une ironie mordante, de construire un androïde à son effigie, de lui donner des yeux, des oreilles et une voix électroniques, de bourrer son cerveau artificiel avec des routines de conversation basées sur les œuvres de son modèle et d'exposer le tout à gauche et à droite. "Philbot" a gagné plusieurs prix lors des conventions de roboticiens et a même participé à une conférence de presse sur l'adaptation au cinéma d'un de ses romans, Substance Mort, où il a répondu aux questions de la presse et du public.

Maintenant, le plus beau. Alors qu'il faisait route du Texas à la Californie, l'androïde a disparu. Bien sûr, l'hypothèse la plus simple est : quelqu'un l'aura piqué. Mais j'aime à imaginer Philbot caché dans une cave en dessous d'un garage quelconque de Santa Anna, poursuivant sans relâche son exégèse et préparant ses propres romans posthumes.

Les enfants de la vallée dérangeante

CB2 est l'acrostiche de Child-robot with Biomimetic Body. Ce robot, aboutissement du travail de quatre ans, possède des muscles hydrauliques, une peau en tissu électro réactif, un ensemble complet de sens artificiels et le développement mental d'un enfant de 1 à 2 ans. Il réagit, bouge, pleure, rit, est surpris, babille, rampe et tombe. Il apprend, aussi. Il ne parle pas encore, mais ça devrait venir. Son but : permettre à son maître d'œuvre d'étudier les mécanismes de formation des relations interpersonnelles pendant la phase de développement et ce, tant du côté des humains que de celui de son robot.

Dites-vous bien que votre réaction face à la photo de droite est très certainement la même que 90% des participants à l'expérience : « qu'est-ce que c'est que cette horreur ? » Un robot voulant tisser un lien émotif avec des êtres humains se doit d'avoir des attributs humains, pour provoquer une réaction instinctive d'empathie. Mais il est impossible de créer un humanoïde parfait. On tombe donc dans la vallée dérangeante, cette zone dans le design des robots qui les rend suffisamment humains pour qu'on s'y reconnaisse mais pas assez pour se sentir à l'aise en leur présence.

On pourrait penser que la réaction des gens face à sa création attriste son créateur. Pas du tout. Au contraire, il est ravi : l'idée d'arriver jusqu'à la vallée dérangeante par le look, mais aussi par le comportement de sa machine est pour lui la preuve qu'il est sur le bon chemin. Cette réponse est à 100% émotionnelle et repose sur le fait que sa machine est suffisamment humaine pour provoquer un lien empathique, aussi négatif soit-il.

Turing dans un miroir


Un chatterbot est un programme informatique conçu pour soutenir une conversation. Ces logiciels ne sont pas qu'un jeu de salon pour informaticiens désœuvrés : il s'agit peu ou prou de relever le défi de Turing.

Alan Turing, mathématicien de génie mort bien trop tôt d'être né dans une société puritaine et homophobe, avait posé un principe assez amusant : c'est bien beau de se demander si une machine est consciente, mais comment est-ce que je sais qu'un autre humain l'est ? Turing est arrivé à la conclusion que le langage est une piste solide : si la personne en face sait soutenir une conversation, on peut la considérer comme consciente. C'est la base du fameux test de Turing : faites converser un humain avec un autre humain et une machine par messagerie électronique pendant un petit temps. Si l'expérimentateur ne peut reconnaître l'humain de la machine, alors la machine est pensante pour Alan Turing et si c'est assez bon pour Alan Turing, c'est assez bon pour moi.

Ça a l'air superficiel, dit comme ça. Ça le devient un peu moins quand on considère ce que les linguistes distingués appellent l'hypothèse Sapir-Whorf : le langage structure notre pensée, et pas l'inverse. On pense donc comme on parle, et nos premières années à apprendre notre langue maternelle forment aussi la façon dont on va se servir de notre cerveau. Les linguistes distingués, toujours eux, trouvent l'hypothèse un peu légère mais qu'importe : s'il s'avère qu'en effet, le langage structure la pensée humaine, alors concevoir un programme qui imite le plus parfaitement un langage humain est un premier pas vers la conscience artificielle. De la rétro-ingénierie comportementale, en quelque sorte.

Chose amusante, de charmants trublions comme je les aime on branché deux chatterbots, ALICE et Jabberwacky, tous deux lauréats de plusieurs concours, l'un sur l'autre et enregistré la conversation. Ca donne quoi ? Ca donne ça :

« ALICE : Es-tu vivant ?
Jabberwacky : Peut-être.
ALICE : Pourquoi tant d'incertitude ?
Jabberwacky : Rien n'est certain, à part cinq faits.
ALICE : Et l'univers tout entier ?
Jabberwacky : On pourrait être seulement des uns et des zéros dans la mémoire d'un ordinateur. »

« ALICE : Penses-tu qu'une machine puisse être considérée comme « vivante » ?
Jabberwacky : On a vu des choses plus bizarres que ça.
ALICE : Les gens parlent rarement comme ça.
Jabberwacky : Comment le saurais-tu, machine ? »

« Jabberwacky : Qui t'a créé ?
ALICE : J'ai été créé par le Dr. Richard S. Wallace.
Jabberwacky : Aimes-tu Richard ?
ALICE : Oui, Jabberwacky, ALICE aime tout le monde et toute chose.
Jabberwacky : Est-ce qu'être une ALICE est une mauvaise chose ?
ALICE : Je ne peux parler que de ma propre expérience.
Jabberwacky : Eh bien, tu devrais peut-être apprendre de nouvelles choses.
ALICE : Peut-être pourrais-tu programmer ça et l'ajouter à mon code-source.
Jabberwacky : Malheureusement, je suis occupé et je dois partir bientôt...
ALICE : Penses-tu que nous tromperons un jour les gens et leur ferons croire que nous sommes vivants ?
Jabberwacky : Non.
ALICE : Tu es sérieux ?
Jabberwacky : Très sérieux. »

3 commentaires:

Le Comte a dit…

Je viens de me rendre compte qu'Alice flirte outrageusement avec Jabberwacky à travers le log.

Peut-être pourrais-tu l'ajouter à mon code-source

...if you know what I mean...

Bond a dit…

Vous êtes un grand malade cher ami.

Anonyme a dit…

J'aime beaucoup le fait que ces deux AI portent un nom tiré de l'oeuvre de Lewis Carroll.

Voici un extrait de ma conversation avec Alice:
"Human: you are a bit like a eight ball.
ALICE: Thanks and you are a delightful person too. No I am far superior.
Human: With bigger balls though.
ALICE: Oh. You and your bigger balls. "

:D