accueille à bras ouverts nos seigneurs reptiliens.

vendredi 29 janvier 2010

Vampires Lesbiennes et Cinéma Bis

Il y a de meilleures façons de commencer sa soirée que de se perdre dans les rues battues par la bruine de sa propre capitale, la nuit tombée. Non que je n'apprécie ses anciennes ruelles dont le pavé humide se fait caresser par la lumière orangée des lampadaires publics et sur lequel nos pas résonnent d'un claquement moite, ou l'architecture rococo-pouet-pouet d'un palais royal qui tombe sur mon chemin comme un varan du Nil sur une piste de bobsleigh, mais quand j'ai quelque chose à faire, j'apprécie fort peu les contretemps.

Le quelque chose en question s'intitule "De Sapho à Dracula : Grandeur et Décadence des Vampires Lesbiennes au Cinéma" conférence velue et édifiante tenue par l'expansive et cultivée Valentine Deluxe, sur un texte de Ben Bureau, à laquelle j'avais déjà assisté par le passé dans une petite salle punk du fond de ma ville natale qui, bien que de superficie restreinte, a le mérite de posséder une vie nocturne plus qu'intéressante et surtout détachée de l'arrogance et de la prétention des salles qu'une capitale peut abriter, mais assez de détails personnels et de peu d'intérêt, car je me rends compte que ce paragraphe ne fait qu'une seule phrase et ne compte aucun mot d'esprit, ce qui est un crime envers les vaillants lecteurs qui, fringuants, se jetèrent à l'assaut de mon compte-rendu en espérant quelque divertissement et se retrouvent avec pour toute récompense une loghorrée indigeste et dont les capacités fatiguogènes n'ont d'égales que les pages de l'annuaire téléphonique valaque de 1976, celui avec l'erreur d'impression.

(Afin de couper court, imaginez simplement le héros courant dans des ruelles mal éclairées, avec en fond sonore un truc du genre, je sais pas, la reprise de What Are You Waiting For des Franz Ferdinand et un montage sec durant lequel il demande son chemin, hésite, téléphone, tombe à genoux en hurlant puis retrouve son compagnon de soirée par hasard, en traversant une rue. Un montage elliptique, somme toute.)

C'est donc en frôlant le retard que j'entre dans le Théâtre de la Toison d'Or - excusez du peu - et que Vermithrax Pejorative et moi-même nous faisons snobber par la tenancière, occupée à faire reluire deux semi-célébrités locales. Passé cette expérience, c'est dans de trop petits fauteuils, un vin blanc trop sec à la main, que nous attendons l'hôtesse de la soirée.

(Parenthèse, seconde : Benoît Bureau et Valentine Deluxe sont en fait la même personne. Ayant été élevé à la culture comics, je dois avouer que le côté sexué du travestisme me passe un peu au dessus de la tête. J'ai un mal fou à ne pas voir ça comme un uniforme adéquat pour nuitamment combattre le crime.)

Et là, comme la première fois : conférence magistrale. Menée avec une érudition digne d'un Jean-Pierre Dionnet en jupons et un humour rappelant un Desproges fringué par Versace, Valentine explose les préjugés vampiriques d'un superbe bras d'honneur* et remet à niveau la culture générale de tout son auditoire avec dérision et précision. Le Dracula de Bram Stoker, origine du vampirisme littéraire ? Laissez-moi rire : le roman fondateur du mythe, écrit en 1896 par cette charmante baderne de Joseph Sheridan le Fanu, qui au vu de son patronyme n'a pas eu une enfance facile, pose les bases du genre en s'inspirant d'un personnage célèbre, Erzebeth "Betty" Bathory, chatelaine un brin tordue bien décidée à conserver son tein de jeune fille grâce à de fréquents bains de sang de vierge, et portée plus qu'à l'habitude sur les soirées entre filles. Mais attaquons le vif du sujet : saphisme et hémophagie sur pellicule argentée.

C'est un véritable festival d'images d'archives et de trésors cachés qui inondent de leur lumière blafarde les rangs de la salle. Après un rapide mais fendard tour d'horizon de ce que le genre a à offrir, de La Fille de Dracula au cinéma fantastique belge, Valentine s'attaque avec tendresse et passion à la filmographie du déchaîné Jean Rollin, qu'on ne présente plus.

Si ? Présentons-le alors. Jean Rollin, réalisateur français contemporain, profite de l'ambiance chamboulée de Mai 68 pour sortir en douce Le Viol du Vampire, son premier film vampirique. Réalisé avec des cacahouètes, tourné comme il peut, foireux au possible, le film arrive malgré tout à toucher un public particulier, amoureux de cinéma bis et de gothique en toc. Il continuera à parler exclusivement de vampires, de lesbiennes et de plages du Nord tout au long de sa carrière.





Sont alors passées en revue toutes les obsessions de l'auteur, des lesbiennes phlébotomiques cachées dans les horloges aux décors naturels récurrents (la même plage tout au long de sa carrière, notamment) en passant par sa passion pour le piano, les cols en velours et les ingénues écolières. Jean Rollin ? Un auteur, dont la soif de tourner fait fi des budgets ridicules et de l'amateurisme de son casting et qui enchaîne depuis plus de quarante ans les pellicules onirico-zédesques avec un aplomb que beaucoup lui envient.

D'aucuns diraient que je m'emporte encore à défendre des causes perdues. D'aucuns se tairont quand ils auront fait la connaissance de son jumeau maléfique, Jesús Franco, sujet suivant de l'allocution, connu dans la profession sous l'aimable sobriquet de l'Homme aux Mille Pseudonymes, auteur de plusieurs centaines de nanards innommables qu'il enchaîne avec un stakhanovisme qui n'a d'égal que son manque de talent. Une fois qu'on a goûté à Franco, on revient inévitablement vers Rollin en s'excusant. L'homme n'est pourtant pas dépourvu de fulgurances, grand découvreur de techniques de réalisations dont le fameux fondu-foufoune (une sorte de fondu au noir, mais avec une foufoune, vous l'aurez deviné) et défenseur d'un montage qu'on peut qualifier de métaphorique si on veut rester gentil et que l'on a ingéré une solide quantité de narcotiques très certainement illégaux dans plusieurs pays industrialisés.

Et c'est sur un point d'orgue magistral - la réinterprétation par madame le conférencier, en live et sans filet, de la scène mythique des Prédateurs où notre aimable narratrice donne la réplique à Susan Sarandon, ce soir jouée par une poupée gonflable - que se clôt un spectacle total, où l'intervention du public, remonté et interrogé sans cesse, tant que la voix sublime de l'intervenante ou l'utilisation magistrale du rétroprojecteur donnent à la soirée un cachet inoubliable. C'est donc le sourire aux lèvres et des répliques cultes à la bouche que Vermithrax et moi-même prenons le chemin du retour, non sans avoir regoûté une dernière fois le blanc aride servi au bar avec le fol espoir que le goût de térébenthine s'en soit évanoui pendant le spectacle tout en admirant la faune à lunettes épaisses, jerseys à motifs et air inspiré, qui peuplait ce soir-là une Toison d'Or complètement fabuleuse.

Valentine ? La prochaine, c'est quand tu veux.

*authentique

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Je plussoie Môssieur le Comte. Mais je suis moins regardant que lui sur l'acidité aigrelette de mes boissons vespérales. L'invitation à siroter ces sulfites (qui - attention! - peuvent contenir du vin) dans mon fauteuil face à un déluge de foufounes vintages me mit suffisamment en joie pour faire l'impasse sur les dramatiques conséquences du dit-breuvage (c'est-à-dire ulcères, hémorroïdes et un certain spleen).

Mais Valentine, en revanche, est un grand cru.